Interview avec Claire Laborey, scénariste et réalisateur du documentaire Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée... - Une génération perdue (2021, aka "Wir Kinder vom Bahnhof Zoo - Lost Generation", "Christiane F. - Una generazione tossica", "Zoo Station: The Story of Christiane F."), produit par ARTE France et Squawk.
1) Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs?
Je suis documentariste et travaille entre Paris et Berlin.
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| Claire Laborey (source) |
2) En tant que scénariste et réalisateur de documentaires, quels ont été les auteurs et les films qui ont influencé vos œuvres? En regardant vos documentaires sur Toni Morrison (Toni Morrison et les fantômes de L'Amérique) et sur Christiane F., j'ai pensé aux œuvres de Yann Le Masson, notamment Kashima Paradise (1973) pour son approche anthropologique dans la description d'une société et de ses mutations.
C'est une très belle comparaison.
Ce film m'a beaucoup marqué.
Le mouvement du film est très puissant, mêlant les transformations et atteintes d'un territoire aux luttes d'un corps social tout à la fois compact et hétérogène, dessinant les mystères d'un élan collectif. Les rapports de force sont si subtilement raconté en creux, en plus des scènes d'affrontements directs.
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Un des films déterminants, essentiel, ce fut la découverte à 20 ans au cinéma, de ce film de Nicolas Humbert et Werner Penzel, Middle of the moment, rencontre avec une forme poétique, associative, qui dépassait tous les discours théoriques possibles et permettaient un voyage aussi esthétique, humain, sensoriel que philosophique. Passionnée de photographie, je pressentais que les champs d'expérimentation du genre documentaire était très très vastes et permettaient des expérimentations.
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Bien sûr il y eu Chris Marker et Sans Soleil, mais aussi les films d'Andres Veiel que je découvrais alors, habitant Berlin, et tout le cinéma d'Harun Farocki... entre autres.
Il y a eu aussi un film semi documentaire d'un élève kirghize de Tarkovskij, Marat Sarulu. Altyn Kyrghol, découvert à la Berlinale, une photographie d'une grande pureté en noir et blanc, et son filmage quasi silencieux de l'enfance, du transsibérien, des paysages kirghizes m'avaient stupéfaite.
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| Altyn Kyrghol - Le Faisan d'or (aka "My Brother Silk Road") (source) |
3) Comment avez-vous découvert pour la première fois l'histoire de Christiane F.? Comment est née l'idée d'un documentaire sur Christiane F.?
C'est un livre que j'ai lu très jeune, à 10 ans, chipant l'ouvrage dans la bibliothèque de mon quartier. J'arborais sa couverture assez fièrement dans le bus. J'étais fascinée par le texte, englouti avec le sentiment qu'être adolescent ça pouvait être celà, explorer les limites, être libre de ses choix même les plus destructeurs et périlleux.
Lors du confinement de 2020, j'ai réfléchi à une proposition de film pour une collection qui se lançait pour ARTE. La collection s'appelle "Avant/après" et son objectif est de comprendre les enjeux et impacts d'un livre, d'un film, d'un objet artistique sur une société et d'en saisir les résonances jusqu'à aujourd'hui. L'histoire de ce livre m'est revenue. Je venais aussi de rencontrer l'éditeur du deuxième témoignage de Christiane F. à Berlin, paru en 2013, qui m'avait rappelé à quel point Christiane F. était un phénomène outre-Rhin.
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| 1981: Première édition française du livre de Christiane F. (source) |
4) Dans vos documentaires sur Christiane et sur Toni Morrison, c'est présente l'importance du dialogue entre les anciennes et les jeunes générations, car l'absence de ce type de dialogue est source de conséquences négatives pour les personnes et pour la société. Est-ce une coïncidence où est-ce un sujet qui vous tient à cœur?
Les deux films se rapprochent peut être car ils tentent tous les deux de saisir combien un livre, un témoignage autobiographique d'une part, un roman, Beloved, d'autre part, peuvent marquer une société et bouleverser ses représentations.
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| Beloved, édition française du livre de Toni Morrison (source) |
Avec le film sur Beloved et l'oeuvre de Toni Morrison, nous avons organisé un tournage en urgence, au moment où les émeutes embrasaient les États-Unis suite au meurtre de George Floyd en juin 2020. Il était évident que le roman avait encore aujourd'hui, un écho très fort lors des mouvements de révolte de Black Lives Matter entre autres et que les écrits de Toni Morrison entraient en résonance directe avec les revendications des générations les plus jeunes.
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| Black Lives Matter dans le documentaire de Claire Laborey sur Toni Morrison |
Avec Moi, Christiane F..., c'est l'histoire d'une Allemagne de l'Ouest figée sur elle-même, rigide, contrôlante, d'après 1968. L'histoire de Christiane F. et sa bande montre un acte silencieux de révolte contre cette société mortifère. Le texte peut résonner de façon intemporelle, du point de vue des adolescents, des envies de fuite et de révolte contre une société qui a peu à leur offrir. En discutant de ce texte avec des adolescentes parisiennes, j'ai senti que la force d'identification de ce témoignage était encore à l'oeuvre aujourd'hui et demeurait très vivace: la persistance du manque d'espoir, le sentiment d'enfermement, les étroites perspectives...dans un autre contexte que la vie de Christiane dans la cité de Gropiusstadt mais une jeunesse coincée à la maison, prise dans les écrans et une pandémie qui les empêchaient de vivre librement.
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| Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée... - Une génération perdue Image du documentaire de Claire Laborey |
5) Lorsque j'ai regardé vôtre documentaire sur Christiane, j'ai été agréablement surprise par la présence de l'histoire de la RAF et de l'interview d'Ulrike Meinhof - indispensables pour comprendre le contexte historique allemand de la fin des années 70/début des années 80 -, car en Italie peu de gens savent (ou se souviennent) la relation entre la RAF et l'histoire de Christiane. A-t-il été difficile d'écrire et de réaliser ce segment du documentaire sur la RAF ?
Pour moi c'était une partie essentielle du film, peut être celle qui m'attirait le plus au départ. Il s'agissait pour moi de saisir quels étaient les ressorts de la révolte à l'époque pour cette jeunesse à la dérive. Les mentions aux actions de la RAF n'étaient pas absentes du texte, on sent bien les atermoiements de Christiane et ses proches, même si c'est la révolte par des actes silencieux qui ont été choisis, par cette "lost generation".
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| Ulrike Meinhof dans le documentaire de Claire Laborey sur Christiane F. |
6) Connaissez-vous le documentaire Enfants de la Révolution (2010, réalisé par Shane O'Sullivan) sur la vie et les filles d'Ulrike Meinhof et de Fusako Shigenobu?
De nom, seulement malheureusement, j'aimerais beaucoup le voir. Avez-vous le magistral Une Jeunesse allemande de Jean-Gabriel Périot?
Je ne connaissait pas ce film de Périot! Merci beaucoup de m'en avoir parlé!
C'était un choix de ne pas parler de ce deuxième témoignage et d'en rester à celui de la jeune fille et du traitement médiatique qui en a été fait au fil des décennies.
Bien sûr, la vaste question du contour du film... on pouvait dire plus sur les violences intrafamiliales non reconnues à l'époque, sur la place de la mère, Mère Courage qui a toujours soutenu sa fille, face aux hommes, le père, son nouvel ami, qui sont soit absents, soit violents, soit les deux.
Les émois amoureux de Christiane, l'intensité de ses amitiés auraient été aussi d'autres champs.
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| Babette "Babsi" Döge, la meilleure amie de Christiane F. Image du documentaire de Claire Laborey |
Et aussi le rôle des éducateurs à Gropiusstadt, car ce n'est dit que de façon allusive dans le livre. Le pasteur et l'éducateur (Manfred Kappeler que j'ai rencontré) ont tenté des expériences éducatives au sein de Gropiusstadt qui étaient très novatrices dans la rigide Allemagne de l'Ouest à l'époque. Manfred Kappeler était d'ailleurs très ami avec Ulrike Meinhof, il a été victime de l'interdiction pour les fonctionnaires d'exercer. C'est-à-dire qu'il a du quitter son travail de chercheur et professeur d'université à cause de ses accointances politiques avec l'extrême gauche, et il s'est retrouvé à Gropiusstadt, cette dalle de béton qui avait oublié sa jeunesse et a tenté de faire au mieux pour les impliquer dans la vie du quartier. Il s'est laissé déborder par l'arrivée des dealers dans le quartier.
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| Manfred Kappeler dans le documentarire de Claire Laborey sur Christiane F. |
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| Un des livres de Manfred Kappeler |
La page de Claire Laborey sur IMDb:
https://www.imdb.com/name/nm2422236/
La biographie de Claire Laborey:
https://festival-resistances.fr/2021/claire-laborey/.html
Le documentaire Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée... - Une génération perdue de Claire Laborey:
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| Vera Christiane Felscherinow ("Christiane F.") en 1978 Image du documentaire de Claire Laborey |
La liste de mes articles consacrés à Christiane F. disponible sur mon blog :
- Comparaison entre le livre et le film des enfants du Bahnhof Zoo:
http://alemontosi.blogspot.com/2013/07/noi-i-ragazzi-dello-zoo-di-berlino.html
- La genèse du livre et du film consacrés à Christiane:
http://alemontosi.blogspot.it/2014/04/christiane-f-1981-di-uli-edel-la.html
- L'interview italienne de Christiane publiée dans le journal La Repubblica en 1981:
http://alemontosi.blogspot.it/2014/05/christiane-f-lintervista-italiana-del.html
- L'impact de la sortie italienne du film de Christiane sur le public et les critiques de cinéma:
http://alemontosi.blogspot.it/2015/11/christiane-f-reazioni-del-pubblico-e.html
- La collection de photos de l'édition allemande du livre de Christiane F., malheureusement absents dans l'édition italienne du livre :
https://alemontosi.blogspot.com/2018/09/christiane-f-ledizione-tedesca-del.html
- L'histoire de Babette "Babsi" Döge:
https://alemontosi.blogspot.com/2021/05/christiane-f-la-storia-di-babsi-e.html
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| Poster française du film de Uli Edel (source) |
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